UNE LETTRE DE POILUS : RENE PIGEARD René Pigeard, originaire de l’Yonne, avait 20 ans en 1914. Blessé lors de la bataille de Verdun, fait prisonnier en 1917, il mourut en essayant de s’évader de son camp de prisonniers le 11 octobre 1917. Cette lettre a été écrite .peu de temps après une permission. Le 27 août 1916, Cher Papa, Dans la lettre que j’ai écrite à maman, je lui disais tout notre bonheur de nous retrouver nous- même après s’être vus si peu de chose…à la merci d’un morceau de métal !...Pense donc que se retrouver ainsi à la vie c’est presque de la folie : être des heures sans entendre un sifflement d’obus au-dessus de la tête... Pouvoir s’étendre de tout son long, sur de la paille. Avoir de l’eau propre à boire après s’être vus, comme des fauves, une dizaine autour d’un trou d’obus à nous disputer un quart d’eau croupie, vaseuse et sale ; pouvoir manger quelque chose de chaud à sa suffisance, quelque chose où il n’y ait pas de la terre dedans, quand nous avions encore quelque chose à manger... pouvoir se débarbouiller, pouvoir se déchausser, pouvoir dire bonjour à ceux qui restent... Pense que, de chaque côté des lignes, sur une largeur d’un kilomètre, il ne reste pas un brin de verdure, mais une terre grise de poudre, sans cesse retournée par les obus : des blocs de pierre cassés, émiettés, des troncs déchiquetés, des débris de maçonnerie qui laissent supposer qu’il y a eu là une construction, qu’il y a eu des « hommes »... Je croyais avoir tout vu à Neuville. Eh bien non, c’était une illusion. Là-bas, c’était encore de la guerre : on entendait des coups de fusil, des mitrailleuses, mais ici, rien que des obus, rien que cela ; puis des tranchées que l’on se bouleverse mutuellement, des lambeaux de chair qui volent en l’air, du sang qui éclabousse...Tu vas croire que j’exagère, non. C’est encore au-dessous de la vérité. On se demande comment il se peut que l’on laisse faire de pareilles choses. Je ne devrais peut-être pas décrire ces atrocités mais il faut qu’on sache, on ignore la vérité trop brutale. Et dire qu’il y a vingt siècles que Jésus-Christ prêchait sur la bonté des hommes ! J’espère aller bientôt vous revoir, et on boira encore un beau coup à la santé de ton poilu qui t’embrasse bien fort. René Pigeard